ENTRETIEN. « En France, les modes de répression des supporters de football ne sont pas adaptés »
Après une saison 2021-2022 marquée par un nombre presque record d’arrêtés limitant ou interdisant les déplacements de supporters de football en France, Nicolas Hourcade, sociologue des supporters, apporte un éclairage socio-historique pour mieux comprendre le sujet. Il rappelle que ces mesures s’inscrivent dans une spécificité française de la gestion des supporters de football, qui se distingue de certains voisins européens.
La stat : lors de la saison 2021-2022, les supporteurs nantais font partis de ceux qui ont été les plus visés en France par des arrêtés préfectoraux lors des déplacements de leur équipe.
La saison dernière, 156 arrêtés préfectoraux et 28 ministériels ont été pris pour encadrer ou interdire les déplacements de supporters de football, selon les chiffres communiqués par le ministère des Sports. Cet exercice 2021-2022 est ainsi devenu le deuxième le plus répressif depuis la saison 2015-2016, qui avait connu une restriction des libertés collectives dans un contexte marqué par les attentats du 13 novembre 2015. Plus globalement, cet usage des arrêtés ne se limite pas à un pic récent, mais à une tendance à la hausse entamée au début des années 2010, et qui s’inscrit dans une politique de gestion des supporters propre à la France, comme nous l’explique Nicolas Hourcade, sociologue des supporters et personnalité qualifiée à l’Instance nationale du supportérisme. Entretien.
Nicolas Hourcade, quel est votre sentiment sur cette saison et demie qui s’achève, marquée par un nombre presque record d’arrêtés préfectoraux et ministériels ?
Ça m’inspire que c’est relativement une spécificité française. On peut trouver des cas similaires où il y a des interdictions fréquentes de déplacement, voire systématiques dans des pays comme l’Argentine ou la Grèce, par exemple. Là-bas, les violences de supporters et la situation de l’État sont sans commune mesure. Mais si on regarde les grandes démocraties près de chez nous, ces mesures-là, soit elles n’existent pas, soit elles sont rares. Et je pense que cela devrait nous interpeller sur le fait qu’en France les modes de répression ne sont pas forcément les plus adaptés, les mieux ciblés, et donc qu’ils ont des effets pervers. Nous, on a une tendance à entraver l’ensemble des supporters d’un club pour en punir certains, et de ne pas suffisamment arriver à cibler la surveillance et l’action répressive sur la minorité de supporters violents.
L’usage des arrêtés pour encadrer les déplacements de supporters ne semble pas ponctuel, mais plutôt s’inscrire dans une tendance à la hausse depuis 2011. Quelles sont les conditions qui ont rendu cela possible ?
Il faut partir du début des années 2010, après la mort de deux supporters du Paris Saint-Germain (2006 et 2010) et des années de violence extrêmement fortes autour du Parc des Princes. Il y a l’idée d’interdire les déplacements des supporters du PSG, avec des dispositifs qu’on appelait à l’époque « couvre-feu anti-supporters ». Cela devait être exceptionnel, c’était écrit noir sur blanc dans les motivations pour ce type de mesure.
À la même époque, il y a un gros tournant autour de l’année 2010 dans la gestion des supporters en France. La Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH, structure compétente sur la question des enjeux de violence lors des rencontres sportives, chargée par le ministère de l’Intérieur de coordonner l’action répressive lors des matches de football) est créée à l’automne 2009, après des incidents et la mort d’un supporter toulousain à Belgrade. Quelques mois après, un supporter parisien meurt dans des bagarres entre Boulogne et Auteuil. Tout cela enclenche la volonté d’avoir une action répressive, que le patron de la DNLH de l’époque appelait une politique de « tolérance zéro ». Il a donc encouragé le recours à ces arrêtés, qui sont montés progressivement en puissance dans les années 2010, puis qui ont été très fortement utilisés au moment des attentats ainsi que lors du mouvement des Gilets jaunes. Utilisés au départ pour des questions qui pouvaient être plus compréhensibles au moment des attentats, en raison du manque de forces de l’ordre, petit à petit, ces arrêtés sont rentrés dans les habitudes. Des préfectures ont pu trouver que c’est plus simple d’interdire ou de très fortement encadrer les déplacements de supporters visiteurs, plutôt que de s’embêter à mettre en place un dispositif de sécurité. Comme en plus, il y a un turnover dans les préfectures, il n’y a pas toujours des gens qui connaissent bien les dossiers de déplacement de supporters, et dès que le truc est un peu compliqué, on interdit les supporters visiteurs. D’autant plus qu’en France, le football est un objet social qui n’a pas une légitimité très importante, et le fait de permettre à des supporters de se déplacer pour suivre leur équipe ne paraît pas un enjeu politique majeur.
Avant la fin de la crise sanitaire, il y avait un début d’évolution de la politique des autorités. Il y a eu des changements à la tête de la DNLH, ainsi qu’une loi en 2016 qui renforce à la fois la lutte contre le hooliganisme, mais aussi le dialogue avec les supporters, avec l’idée d’arriver à un plus grand équilibre entre répression et prévention, et faire en sorte que les arrêtés d’encadrement ou d’interdiction soient prononcés dans des circonstances qui les nécessitent, et de manière moins systématique. Et on était, juste avant la crise sanitaire, suite notamment à une circulaire du ministère de l’Intérieur de novembre 2019, sur une régulation pour faire en sorte qu’il y ait un peu moins de ces arrêtés.
Comment expliquer alors que ces arrêtés aient redoublé, malgré les préconisations ?
Pendant la crise sanitaire, au niveau de l’Instance nationale du supportérisme (INS, qui rassemble, autour de la ministre des Sports, tous les acteurs concernés par ce sujet), il y a eu des échanges sur les conditions de retour du public au stade, et un certain nombre d’acteurs, à la fois supporters, clubs ou autorités, ont souhaité en profiter pour réfléchir à certains sujets comme les fermetures de tribunes, les déplacements. Mais en fait, ça ne devait plus être une priorité ministérielle. Les choses se sont endormies pendant deux ans, et il y avait une inertie terrible, ce qui fait qu’on s’est retrouvé au retour du public dans les stades avec des supporters parfois un peu plus excités, avec des débordements un peu plus importants qu’avant, et des dispositifs organisationnels qui n’étaient pas calés. On a eu l’impression que toutes les habitudes en termes de maintien de l’ordre s’étaient perdues, pour plein de raisons. Il n’y avait plus assez de stadiers, les clubs, avec les années de crise sanitaire et la faillite de Médiapro, avaient peut-être moins d’argent à mettre dans la sécurité autour des matches… Il y a eu des erreurs assez invraisemblables avec des incidents près des stades, du fait d’un dispositif de maintien de l’ordre pas suffisamment adaptés. Et donc, par facilité, on a repris, un peu comme dans les années post-attentats ou Gilets jaunes, avec un recours très fréquent aux arrêtés. Là, le groupe de travail sur les déplacements de supporters est juste en train de reprendre, au niveau de l’INS, et il a fallu attendre une année après le retour du public dans les stades pour que les choses se remettent en place.
Historiquement, le football n’est pas un objet politique véritablement légitime en France, contrairement à l’Angleterre ou l’Allemagne, par exemple.
— Nicolas Hourcade, sociologue des supporters
Aujourd’hui, quelle est la ligne directrice sur la question des déplacements de supporters ?
D’après ce que disent les pouvoirs publics au niveau national, il y a une volonté à nouveau de réguler cela, et de faire en sorte que ce soient plutôt des arrêtés d’encadrement que d’interdiction. Il n’empêche que quand on regarde sur le terrain, pour beaucoup de préfectures, c’est une solution de facilité, utilisée un peu à tort et à travers et qui devient, à certains moments et sur certains matches, disproportionnée et difficilement justifiable. Ça incite l’Association nationale des supporters (ANS, association chargée de défendre les intérêts de plusieurs associations de supporters en France) à faire de plus en plus de recours (pour tenter de faire annuler certains arrêtés). On est dans une situation où un certain nombre d’acteurs se rendent compte que ce n’est pas satisfaisant d’avoir des interdictions à tort et à travers qui ne sont pas toujours bien proportionnées à la réalité des faits.
En quoi peut-on parler d’une spécificité française de gestion des supporters, si l’on compare à d’autres pays voisins ?
Historiquement, le football n’est pas un objet politique véritablement légitime en France, contrairement à l’Angleterre ou l’Allemagne, par exemple. Dans les années 1990, confrontés à des phénomènes de violence et de racisme importants dans les stades, ces deux pays ont mis en place des politiques cohérentes de gestion du problème. En Angleterre, c’est une répression très forte envers les hooligans, et une transformation complète du football : on rénove complètement les stades, on remplace les gradins debout par des places assises, on rentre dans une logique économique au niveau du football anglais, ce qui fait qu’on change aussi de public. Cette commercialisation du football, associée aux mesures policières, fait en sorte que la situation s’apaise durablement autour des clubs de première et deuxième divisions.
En Allemagne, c’est une logique un peu différente. Il s’agit d’articuler répression ciblée sur les supporters violents et prévention sociale avec la mise en place d’un ensemble de dispositifs pour prévenir la violence, ainsi que la favorisation du développement de groupes de supporters festifs. Les supporters y sont toujours restés debout, il y a toujours eu des prix attractifs derrière les buts. Ces deux politiques sont différentes, mais dans les deux cas, il y a une architecture globale.
En France, on fait d’abord des lois qui suivent un peu ce que les autres pays font, il y a des transformations, la Ligue crée une commission de sécurité, mais il n’y a pas vraiment de politique globale cohérente et continue. Quand il y a un gros incident, il y a une nouvelle loi qui passe, mais il n’y a pas une démarche volontariste. À partir de 2006, des lois créent l’interdiction administrative de stade (IAS, une mesure prise par le préfet sans jugement préalable, « visant à prévenir ou sanctionner la violence dans les stades », qui interdit de se rendre au stade d’un ou plusieurs clubs, et implique plusieurs contraintes administratives à respecter, comme pointer au commissariat un jour de match, par exemple) et la possibilité de dissoudre les groupes de supporters. L’action répressive commence à se structurer, mais elle ne devient à peu près cohérente qu’à partir de 2010, avec l’idée d’une logique de tolérance zéro, sans qu’il y ait un plan structuré comme il y avait eu en Allemagne ou en Angleterre vingt ans plus tôt. Il y a une volonté d’avoir des mesures qui symboliquement sont fortes, mais qui peuvent produire plein d’effets pervers. Au lieu de sanctionner les fauteurs de troubles on sanctionne un peu tout le monde. Et depuis 2016, avec la loi pour renforcer le dialogue avec les supporters, la lutte contre le hooliganisme et la signature d’une convention du conseil de l’Europe qui incite à concilier anticipation, prévention et répression, pour bien organiser des événements sportifs, la France est censée rentrer dans une politique qui articulerait les deux, et elle communique là-dessus. Cela progresse un peu, mais très lentement. On oscille entre une logique de la tolérance zéro avec plein d’interdictions de déplacements, et une politique qui, au contraire, utiliserait ces arrêtés d’encadrement ou d’interdiction de manière beaucoup plus réfléchie, mesurée, ciblée, pour être plus efficace.
Quand on regarde le rapport du Sénat Houlié-Buffet de 2020 qui met en garde contre la généralisation des arrêtés, on a pourtant l’impression qu’il y avait déjà une prise de conscience sur cette question ?
Le rapport de Sacha Houlié et Marie-Georges Buffet était plus centré sur les Interdiction administratives de stade, parce qu’il découlait du projet d’interdiction administrative de manifester en 2019 d’Édouard Philippe, qui souhaitait pouvoir interdire les manifestations pour les fauteurs de troubles, à l’image des IAS pour les hooligans. Ce rapport est très intéressant, dépasse même le cadre des IAS, sauf qu’il tombe en pleine crise sanitaire et sa période d’inertie. La question est donc : est-ce que les travaux de l’INS ainsi que ceux de Sacha Houlié et Marie-Georges Buffet vont pouvoir réenclencher les choses et arriver à cette articulation sur laquelle la France communique entre répression et prévention, mais qu’elle a un peu du mal à appliquer concrètement. Son problème, c’est qu’elle réprime mal.
En Allemagne et en Angleterre, on considère que le fait que les gens puissent se déplacer pour aller voir leur match ou suivre leur équipe en déplacement, c’est quelque chose d’important. Et donc qu’on doit mettre les moyens pour le faire et qu’on doit les empêcher seulement quand c’est légitime.
— Nicolas Hourcade, sociologue des supporters
Vous évoquez dans votre travail que le football ne constitue pas en France un « objet politique légitime », et que les supporters ont parfois le sentiment d’être des « citoyens de seconde zone », comment cela se traduit concrètement ?
En France, priver quelqu’un d’un match de football, ne représente pas spécialement un enjeu, il n’y a pas de grande voix qui s’élève à ce sujet. On pourrait nuancer, vous avez régulièrement des articles de presse qui s’offusquent un peu de certaines dérives ou qui s’étonnent. Mais des mobilisations d’acteurs politiques majeurs, c’est relativement rare.
En Allemagne et en Angleterre, on considère que le fait que les gens puissent se déplacer pour aller voir leur match ou suivre leur équipe en déplacement, c’est quelque chose d’important. Et donc qu’on doit mettre les moyens pour le faire et qu’on doit les empêcher seulement quand c’est légitime. On ne va empêcher que des individus avérés comme violents, où ça a pu arriver qu’on interdise des déplacements, mais dans des circonstances exceptionnelles où on considérait que ce n’était pas possible d’assurer la sécurité, à moins d’engager un nombre de forces de l’ordre délirant.
Prenons un exemple : si en Angleterre on interdisait aux supporters de Liverpool de se déplacer à Manchester United, ça ferait un scandale politique. Là, quand les supporters de Liverpool ont été maltraités au Stade de France, des acteurs politiques majeurs de la ville de Liverpool étaient au stade et se sont plaints immédiatement. C’est-à-dire que politiquement, il y a eu un écho très fort. Les supporters de Liverpool ont été complètement soutenus par les acteurs politiques locaux voire nationaux. Interdire à des supporters anglais de se déplacer, c’est légitime quand ce sont des hooligans et on va prendre des mesures fortes pour les interdire de sortir du territoire par exemple, mais pour l’ensemble des supporters, c’est impensable.
Le fait qu’il y ait une proximité entre gestion des supporters et gestion des manifestations est-il révélateur de cette vision des supporters d’un point de vue sécuritaire ?
Quand on interdit à des gens de manifester, qu’on projette de créer des interdictions administratives de manifester, tout de suite ça fait un tollé politique majeur. Quand on fait pareil pour les supporters, il n’y a pas d’émotion particulière. Donc puisqu’il n’y a pas d’émotion particulière à prendre des mesures un peu fortes pour les supporters, on peut être amené à prendre des mesures relativement radicales, et une fois qu’elles sont mises en place, se dire que cela pourrait être appliqué ailleurs. Donc effectivement il y a eu des tentations comme ça, on l’a vu avec le projet d’interdiction administrative de manifester, de prendre des choses qui ont été faites sur les supporters pour le faire ailleurs. Si on veut réfléchir plus globalement, on est dans des sociétés qui gèrent les risques. Et on gère un peu le hooliganisme comme le terrorisme, avec une volonté d’anticiper les risques, de se prévenir de faits avant qu’ils surviennent, et donc c’est plutôt cette logique que l’on va retrouver dans les arrêtés.
Cette considération se ressent dans la notion de sécurité liée aux attentats terroristes, qui est rappelée dans beaucoup d’arrêtés pour justifier que la mobilisation des forces de l’ordre n’est pas forcément disponible en nombre suffisant…
L’idée qu’il y a derrière, fondamentalement, c’est qu’on trouve que mettre de la police autour des matches de football, c’est mal utiliser l’argent public. On veut moins de policiers autour des matches de football. Donc on va essayer de trouver des moyens pour qu’il y ait moins de policiers. Un exemple de moyen, c’est d’interdire les supporters de déplacement. Précisément parce qu’on considère que mettre beaucoup de policiers sur un match, ça ne vaut pas le coup puisque ce n’est pas un enjeu politique fort. Donc on se retrouve avec l’idée qu’on retrouve dans tous les arrêtés : essayons de limiter la mobilisation des forces de l’ordre pour qu’elle puisse faire autre chose. Ce qui, à la limite, pourrait faire l’objet d’un débat politique. On pourrait vouloir interdire les déplacements de supporters visiteurs dans une perspective écologique, ce n’est pas absurde. Ou si on veut économiser des coûts, ça pourrait se comprendre, il pourrait y avoir une réflexion globale sur ces questions-là. Sauf qu’en fait non. On dit qu’il ne faut pas trop mobiliser de forces de l’ordre, donc on va trouver 20 000 solutions pour ne pas trop en mobiliser. Si les interdictions furent particulièrement nombreuses la saison dernière, dans les faits ce sont les arrêtés d’encadrements qui augmentent le plus.
Pour les supporters de base, qui ne sont pas forcément dans une association, ça a complexifié les choses, pour comprendre vraiment ce qu’ils ont le droit ou pas de faire, pour vivre leur passion. Et souvent, les mesures finissent par paraître illégitimes.
— Nicolas Hourcade, sociologue des supporters
Finalement, compte tenu du fait que les supporters, dans leur culture, assument cette recherche de l’opposition à l’adversaire, est-ce que l’encadrement ne devient pas une sorte de compromis ?
Effectivement, c’est un peu la ligne qu’a défendue la DNLH ces derniers mois en disant : il y a beaucoup d’arrêtés, mais c’est essentiellement des arrêtés d’encadrement qui n’empêchent pas le déplacement, c’est mieux qu’un arrêté d’interdiction. Sur le fond je suis assez d’accord, effectivement ça permet aux supporters de se déplacer quand même dans des bonnes conditions de sécurité. Sauf qu’il y a souvent des conditions relativement restrictives et pas complètement adaptées. Souvent ça s’accompagne d’une réduction de jauge, le nombre de supporters visiteur est fortement limité. À tel point que des fois, il est tellement limité que les supporters visiteurs boycottent le déplacement, en tout cas les ultras, car ils estiment ne pas être suffisamment nombreux. Parfois, il y a des points de rendez-vous qui ne sont pas toujours adaptés. Donc l’enjeu ce serait de réfléchir aux modalités d’encadrement.
J’ai travaillé sur l’expérimentation du projet Nivel (la Fondation Nivel, en référence au gendarme français grièvement blessé par des hooligans allemands lors de la Coupe du monde 1998, cherche à améliorer les relations entre policiers et supporters), du policier référent. L’idée, qui découlait d’un travail réalisé avec tous les acteurs (clubs, Ligue, DNLH, associations de supporters), a débouché sur la circulaire d’automne 2019, qui préconise pour un match chaud la tenue, un mois ou trois semaines avant, d’une réunion de sécurité avec tous les acteurs concernés pour voir ce qui peut être fait pour organiser le déplacement. Si on voit que c’est compliqué, soit on crée des mesures de restriction, soit des mesures d’interdiction. Et il faudrait sortir les arrêtés plus tôt, car il y a cette tendance à les sortir au dernier moment, ce qui ne permet pas forcément une contestation efficace des supporters, en cas d’arrêté abusif.
L’enjeu serait ainsi de mieux anticiper l’organisation des matches, le faire sérieusement, et trouver un dispositif qui soit adapté, et qui permette de concilier sécurité et liberté de déplacement des gens. Ce qui suppose une vraie anticipation, ainsi qu’une professionnalisation de cette organisation des déplacements, qui fait que quand il y a des mesures de restriction, elles ne tombent pas de nulle part et sont adaptées à la situation en termes de jauge, de points de rendez-vous, et donc on a un encadrement cohérent.
Du point de vue du supportérisme, se faire interdire ou encadrer, qu’est-ce que cela représente ?
Cela va dépendre du supporter dont on parle. Pour les ultras, par exemple, c’est vraiment problématique pour eux, parce qu’il y a cette logique de faire le « Grand Chelem », c’est-à-dire être présent à tous les matches de leur club, à domicile comme à l’extérieur. Depuis quelques années, c’est difficilement possible. Il y a plein de clubs qui, à un moment ou à un autre, subissent une interdiction de déplacement. Donc ça change un peu les choses, il y a une sorte de fatalité, qui a pour effet, par exemple, l’organisation des supporters en structures nationales. L’ANS s’est développée parce qu’il y avait cet ensemble de mesures qui paraissait injuste aux supporters. Le besoin qu’ils ont éprouvé de se défendre correctement, d’avoir des avocats qui contestent un certain nombre de décisions. Ça a un peu judiciarisé les comportements des supporters et de leurs associations.
Et pour les supporters de base, qui ne sont pas forcément dans une association, ça a complexifié les choses, pour comprendre vraiment ce qu’ils ont le droit ou pas de faire, pour vivre leur passion. Et souvent, les mesures finissent par paraître illégitimes. Il y a un sentiment d’injustice, qui produit pour moi un effet pervers fort : c’est qu’à force d’avoir le sentiment d’être traité de manière injuste, ils ne se rendent pas compte qu’à certains moments, certaines sanctions ou restrictions sont totalement justifiées par un comportement inacceptable. Il y aurait un enjeu fort à être capable de faire des arrêtés qui soient légitimes. Que parfois il y ait des interdictions sur un Lyon – Saint-Étienne ou sur un PSG – OM, on peut le comprendre. Quand le préfet de la Loire décide, il y a quelques années, d’autoriser les Lyonnais à revenir et que, comme par hasard, il y a plein d’incidents, on peut comprendre que la préfecture décide d’interdire le déplacement le match suivant : c’est alors légitime.
Vous parlez d’effets pervers quels sont-ils ?
Alors qu’en Angleterre ou en Allemagne, quand il a fallu lutter contre le hooliganisme, il s’est agi de cibler les individus qui causaient des troubles, en France on prend une autre logique, avec une place centrale des interdictions collectives, où on empêche tout le monde de se déplacer. Quand on ferme une tribune, celui qui n’a rien fait est privé de stade pendant deux mois, et celui qui a fait quelque chose aussi, et ils reviennent dans les mêmes conditions. Les effets pervers, c’est qu’on empêche tout le monde de voir le match ou se déplacer.
Il y a peut-être aussi un rapprochement à faire avec notre incapacité à bien organiser la finale de la Ligue des champions l’an dernier. On ne peut pas d’un côté restreindre très fortement et de manière extrêmement fréquente les déplacements de supporters, et ensuite vouloir être capable d’organiser des grands événements qui impliquent nécessairement des déplacements de supporters en grande quantité. Il faut s’entraîner à organiser des moyens événements, pour accueillir des grands événements afin d’accueillir des routines d’organisation.
Nicolas Hourcade est sociologue des supporters. Ses travaux ont porté notamment sur les politiques de gestion des supporters de football. Il est également personnalité qualifiée au sein de l’Instance nationale du supportérisme.
Source : Ouest France